Une École à Bodh Gaya et le système des castes

Intouchables, Bihar, Inde

A l’école, beaucoup d’élèves appartiennent à la catégorie des intouchables, intouchable signifiant littéralement que l’on ne peut pas toucher. Très ferme sur le respect de l’éthique de l’école, Rajesh a dû se séparer de deux institutrices, parmi les premières embauchées, car elles s’étaient comportées de manière discriminante avec des enfants intouchables.

Lire Le serment des instituteurs.

La sélection des enfants pour leur admission à l’école s’effectue strictement selon des critères de revenu, absolument pas selon la caste d’appartenance. Il y a même quelques élèves brahmanes, c’est-à-dire appartenant à la plus haute caste hindoue, mais dont les familles vivent dans la pauvreté.

Le système des castes est complexe, en perpétuelle évolution, et difficile à comprendre avec nos yeux d’Occidentaux.

La caste correspond a deux notions indiennes : la varna et la jati.

La varna

En Occident, nous fonctionnons sur un mode centré sur l’individu, et nous mettons l’accent sur la liberté et l’égalité des individus. En Inde, ce n’est pas l’individu qui est au centre, mais plutôt le groupe, la société. Chacun doit être à sa place et doit agir selon la fonction qui lui a été assignée par sa naissance.

Cette vue remonte à la civilisation védique et elle est à la base du système des varna lié à l’hindouisme, qui classe les individus selon leurs qualités. C’est dans ce système que l’on identifie les brahmanes (les prêtres), les kshatriyas (les guerriers et les rois), les vaishyas (les propriétaires et les marchands) et les Shudras (les paysans) qui sont au service des trois varna supérieures. Les hors-castes, ou intouchables, sont exclus de ce système.

Le système des caste, la jati

Mais en réalité, le véritable système des castes, celui dont va parler un Indien si on lui pose la question de son appartenance, est celui de la jati. Dans la suite de cet article, l’emploi du mot caste fera référence à la jati.

Ainsi chaque caste ou jati est caractérisée par un statut hiérarchique régissant sa relation – ou interdépendance – avec les autres jati. Chaque caste doit être clairement séparée, il y a donc des règles assurant cette séparation, en particulier l’interdiction du mariage hors de sa propre caste. En Inde, un examen des annonces matrimoniales dans les journaux montre à quel point cette coutume reste vivace de nos jours. La caste s’acquiert donc par la naissance. L’interdépendance entre castes est structurée par la division du travail, une caste correspondant souvent à un métier ou à une fonction, transmis de manière héréditaire.

La hiérarchie n’est pas forcément celle que nous imaginons, c’est-à-dire une chaîne de commandement, du grand patron au petit exécutant. Une anecdote peut nous aider à comprendre : lors d’un voyage en Inde, une personne nous a rapporté que le chauffeur du car, un Brahmane, suivait à la lettre les instructions du guide, qui était d’une caste inférieure. Mais en fin de journée, le guide a voulu faire un petit détour, intéressant mais non prévu, mettant en danger la tenue de l’horaire. À ce moment, le chauffeur a pris l’ascendant et a fermement refusé le détour, et le guide n’a pas insisté.

La caste correspond à certains égards à la notion de pureté et d’impureté, qui donne lieu à des règles qui peuvent nous sembler incompréhensibles : par exemple des règles régissent la possibilité de recevoir ou non de la nourriture ou de l’eau d’un individu d’une autre caste.

La caste est liée à des aspects religieux, parfois certains aspects de la varna influencent la jati. Cela se retrouve dans la relation entre le pouvoir religieux et le pouvoir temporel. Le Brahmane est supérieur au roi. Mais le Brahmane est le plus vulnérable à l’impureté : par exemple, il doit effectuer un rituel de purification s’il est souillé par le contact d’un intouchable. On trouve également une influence de la varna par la croyance qu’il est possible en se comportant de manière vertueuse de renaître dans une caste plus élevée.

Plus prosaïquement, la caste est aussi liée à la possession de la terre, le manant étant au service de la classe possédante dans les milieux ruraux.

La caste n’est ni un système universel, ni un système figé. Ainsi il existe un très grand nombre de castes, souvent propres à une région, à une ethnie, ou à une localité. Chaque village a son organisation en jati. La jati évolue, en particulier avec l’apparition de nouveaux métiers. Et la hiérarchie peut également être remise en cause ; ainsi, les membres d’une caste vont s’astreindre à des règles souvent copiées sur celles des brahmanes, dans l’espoir de faire évoluer le statut de leur jati.

Dans le système des jati, il existe des intouchables, en raison de l’impureté de leurs fonctions : les éboueurs, les tanneurs, les équarrisseurs par exemple, ainsi que les métiers en contact avec le sang ou les fluides corporels, comme les sages-femmes et les barbiers. Les intouchables se sont donné le nom de dalit, « écrasés ». Le Mahatma Gandhi a préconisé l’émancipation des dalits, inventant le terme « harijan » ou « enfant de Dieu ». Aujourd’hui, les intouchables représentent environ le quart de la population en Inde.

La société indienne évolue

La Constitution de 1950 affirme l’égalité de tous les citoyens. Par l’article 15 elle interdit toute discrimination fondée sur les castes. Par l’article 17 elle abolit la notion d’intouchabilité.

De nos jours, dans la classe moyenne notamment et dans les grandes villes, la profession et la position sociale peuvent être sans rapport avec la jati, et parfois des mariages ont lieu entre castes différentes. C’est encore loin d’être le cas dans les campagnes et les milieux défavorisés.

Ce système est profondément ancré dans la culture et la société indienne depuis des millénaires et il serait présomptueux d’espérer le voir disparaître en seulement quelques générations.

L’éducation a un rôle-clé dans cette évolution, ce qui donne tout son sens à l’action de « Une École à Bodh Gaya », et au serment des instituteurs.

Pour aller plus loin, nous vous conseillons un ouvrage qui fait référence et qui a largement inspiré cet article :

Louis Dumont

homo hierarchicus, le sytème des castes et ses implications

TEL gallimard