Une marraine à Bodh Gaya

Une école à Bodh Gaya - Anisha

Le témoignage de Brigitte, une marraine qui à séjourné à l’école du 14 au 30 novembre 2014.

Tant d’impressions contrastées, visuelles, sonores, olfactives, vibratoires, émotionnelles, donnent à ce voyage une qualité unique, inoubliable…
Cette plongée dans l’intimité de l’Inde pour visiter« Une école à Bodh Gaya », où j’ai comme tant d’autres une filleule, Anisha, est une expérience dont je mesure l’aspect exceptionnel et la chance qui m’a été donnée de la vivre dans pareil contexte.

Séjour d’une intensité renouvelée chaque jour, avec les nombreuses activités à l’école, la découverte de ce Haut-Lieu du Bouddhisme qu’est Bodhgaya, l’amitié née de ces rencontres. Avant tout c’est une aventure du cœur.

Une école à Bodh Gaya - regards de braiseCe qui émerge de ces impressions, ce sont les regards de braise de ces enfants, leurs sourires éclatants, la symphonie des femmes en saris multicolores, dignes, élégantes, au port de reine. C’est la générosité de l’accueil, la profondeur des liens créés. C’est l’innocence confrontée à la violence cachée d’une société impitoyable. Une école à Bodh Gaya - regardsC’est cette grâce qui semble émaner derrière certains regards durs, tragiques, par delà l’insupportable condition de tant de gens laissés pour compte. Ce sont ces contrastes incroyables, ce dénuement extrême. C’est la richesse d’une humanité multiple et pourtant Une.

Une école à Bodh Gaya - rencontre
Une école à Bodh Gaya – rencontre

Une école à Bodh Gaya - Rajesh, le directeur de l'école
Rajesh, le directeur de l’école

L’idée d’une école pour Intouchables, les plus démunis des démunis, est de Rajesh, le jeune directeur. Mais c’est grâce à Jean-Marc, accompagné de ses amis Michel et Corinne, et aux personnes qui se sont associées à ce projet par des parrainages qu’il a pu concrétiser son rêve. Dès les premiers instants, je suis impressionnée par la qualité de cette école, l’esprit qui y règne. Tout est impeccable, organisé, discipliné. La tenue des enfants, des professeurs, les Une école à Bodh Gaya - Les garçonsbâtiments et espaces verts. Nous sommes magnifiquement reçus sous une pluie de pétales ; on nous offre colliers de fleurs, discours et spectacle de bienvenue. Les enfants portent un uniforme bleu et gris, avec un pull bordeaux à la saison fraîche.

L’école existe depuis plus de dix ans. Il y a dix niveaux (classes de 1 à 10) plus deux maternelles. Depuis l’origine elle a accueilli 388 enfants. Quelques-uns ont abandonné en cours de route pour différentes raisons, les jeunes filles se marient tôt, mais la plupart arrivent au bout du parcours. Actuellement 278 sont scolarisés. L’an dernier, les premiers élèves ont passé l’équivalent du baccalauréat. Nous nous rendons compte à quel point l’éducation, la qualité de cette école, peuvent changer leur vie et celle de leur famille. Ils trouvent du travail, d’autres poursuivent leurs études, parfois même lorsqu’elles sont mariées.

Les enfants sont accueillis, éduqués, nourris, soignés, respectés, aimés. C’est l’espoir d’un avenir meilleur. Toute l’équipe de l’école est attentive aux problèmes qui peuvent survenir, scolaires, familiaux, de santé. L’esprit qui y règne est exigeant mais bienveillant et compréhensif.

Une école à Bodh Gaya - Revue matinale
Revue matinale

Quand ils arrivent le matin, pour 8 h, ils courent dans leurs classes déposer leur cartable, reviennent se ranger sur la pelouse. C’est le moment où l’on passe en revue leur tenue, on vérifie qu’ils vont bien. Sans être rigide la discipline est ferme. Quelques mouvements de gymnastique, puis ils récitent une prière en anglais, hindi et sanskrit. On leur offre ensuite un petit-déjeuner (graines, bananes) qu’ils prennent assis en lotus ou accroupis, avant de retourner dans leurs classes. Calmes et disciplinés, la plupart semblent heureux, épanouis.

Une école à Bodh Gaya - service des repas
Service des repas

Le repas est à 11 h 15. Les élèves se lavent les mains, remplissent leur verre avant d’aller s’installer sur de longs tapis étroits sous le préau. Les menus, toujours les mêmes chaque semaine, ont été établis par un diététicien et sont préparés sur place par un chef cuisinier et deux assistants. Les produits sont frais. Par des ouvertures entre la cuisine et le préau, c’est une joie de les servir, d’être remerciés par un large sourire, un «thank you» vigoureux. Alors qu’ils font la queue pour se faire servir, nous apprenons à les connaître en maniant la louche pour remplir leurs assiettes. Ils reviennent autant de fois qu’ils le souhaitent car chez eux, bien souvent, ils ne mangent guère. Puis ils lavent leurs assiettes (elles seront relavées ensuite par mesure d’hygiène), se brossent les dents.

Une école à Bodh Gaya - Initiation aux bracelets en élastiques
Initiation aux bracelets en élastiques

C’est l’heure de la récréation. Ils jouent au badmington, au ballon, au frisbee, au carromboard, se racontent leurs secrets sur des balancelles. J’en profite pour les initier aux bracelets en élastiques, cette mode qui fait fureur en France. Succès assuré ! Ils retournent en classe jusqu’à 14 h et repartent vers les villages alentour par petits groupes, en file indienne, frêles silhouettes sur le fond vert jaune des rizières.

Du lundi au samedi, le rythme reste le même. Le samedi, c’est plus ludique ; gymnastique, yoga puis cours habituels. Il n’y a qu’un mois de vacances en mai-juin.

C’est une joie de participer à la vie de l’école : tâches administratives, contrôle des uniformes – l’un des points importants de ce séjour -, rencontres avec les professeurs, le personnel, les parents.

Une école à Bodh Gaya

Il arrive que d’anciens professeurs, ou des élèves ayant terminé leur scolarité, passent saluer les visiteurs. Une jeune femme, Arti, qui a enseigné quelques temps à l’école, bénéficie d’une bourse pour étudier à New-Delhi dans une école équivalente à l’ENA. Sanjo, très bonne élève, vient de passer son bac ; elle s’est mariée et a la chance que la famille de son mari accepte qu’elle aille à l’université, ce qui est rare. Un autre se lance dans des études de médecine.
Deewakar, parti travailler au Kerala comme menuisier, peut envoyer de l’argent à ses parents ; l’amélioration de leur maison en est le signe.
Nous nous rendons compte combien cette école permet à la vie de toute une famille, d’un village, de se transformer. C’est une incitation pour que d’autres accèdent à l’éducation dans cet état du Bihar où le taux d’alphabétisation est le plus faible.

Une école à Bodh Gaya - Lecture du serment
Lecture du serment

Les professeurs, lorsqu’ils sont engagés, lisent et signent un très beau serment écrit pour l’école lors de sa création, soulignant en particulier qu’ils refusent toute allégeance au système des castes, illégal mais encore vivace. Pendant notre séjour, pour la première fois, on leur demande de le lire à haute voix devant les autres professeurs. Moment très solennel et émouvant.

Une école à Bodh Gaya - enfant en attente d'une marraine ou d'un parrain
Enfant en attente d’une marraine ou d’un parrain

Bien sûr, il y a beaucoup de demandes en attente. Ces familles vivent souvent des drames terribles, inimaginables quand on voit ces enfants beaux et lumineux. Il faudrait de nouveaux parrainages. Rajesh fait des enquêtes sociales dans les villages, établit une liste qu’il adresse à l’association française. Celle-ci sélectionne les plus âgés d’abord et met en relation un parrain et un enfant. Rajesh et le comité veillent à ce qu’il y ait autant de filles que de garçons.

J’ai eu l’occasion de visiter le village et la maison de ma filleule, Anisha (10 ans environ). Le contexte familial est particulièrement dramatique.

Une école à Bodh Gaya - La maison d'Anisha
La maison d’Anisha

Deux soeurs aînées sont déjà mariées, deux autres, Munam et Kushi, sont scolarisées. Le père est alcoolique, la maman est morte. C’est la grand-mère qui s’occupe d’elles, Munam fait la cuisine. Leur maison est en pisé, sans porte ni fenêtre, le toit de tuiles et de chaume laisse passer les pluies de la mousson. Deux minuscules pièces donnent sur le patio intérieur. Dans chacune, un lit de cordes tressées, à l’indienne, une fine couverture, une petite étagère en terre avec brosse à dents et quelques objets. C’est tout. Pas d’eau, pas d’électricité, juste une minuscule lampe à huile pour s’éclairer la nuit. C’est propre malgré tout. Des bouses de vaches servent de combustible pour cuire le riz. Sous une cloche en paille se cachent une poule et ses poussins. Dans les rues du village vaches, chèvres et enfants font bon ménage. Rajesh, de son oeil attentif, observe tout, comprend les situations, nous aide à trouver la meilleure manière de les aider.

L’Association a créé un fonds d’entraide qui sert à gérer toutes sortes d’urgences pour les élèves et leurs familles, les professeurs parfois, ou dans les villages.

Une école à Bodh Gaya - vieille dameUn matin où le froid était vif, nous avons trouvé, accroupie devant l’école, pieds-nus, une vieille dame à peine couverte d’un léger châle sur son sari. On lui a offert thé et biscuits, des tongs pour protéger ses pieds, l’invitant à revenir le lendemain pour qu’on lui remette une couverture chaude que nous sommes allés acheter le soir même.

Contigu à l’école, un dispensaire ouvert sur l’extérieur accueille les habitants des alentours. Certains jours, ils sont cinquante à venir se faire soigner.

Une école à Bodh Gaya - L'atelier de coutureA côté, un atelier de couture est destiné aux femmes, dont la condition est souvent très difficile. Elles peuvent ainsi améliorer leur quotidien.

Tâche difficile, à temps plein, que de diriger cette école et tous ses à-côtés. Tâche qui vous prend tout entier, corps, âme, esprit. Une vocation…

Au bout de quinze jours, je suis tout aussi impressionnée qu’au début.

Au moment de partir, ils sont tous là, élèves, professeurs, personnel, Anisha et ses soeurs. On nous offre des cadeaux. L’émotion est palpable. Nous nous sommes apprivoisés lentement, avons appris à nous connaître, à laisser parler le langage du coeur. Mais il faut se quitter…

A l’aéroport, surprise : quelques professeurs, hommes et femmes, sont là, à nous attendre. C’est la première fois qu’ils font l’effort de venir jusqu’à Gaya un samedi pour un dernier au revoir…

Brigitte